Serge Leroy a réalisé avec ce film souvent ignoré un tour de force : mettre en scène une histoire avec 4 enfants en guise de protagonistes principaux sans faire se dresser les cheveux sur la tête des spectateurs, chose rare dans l’histoire du cinéma.
Aux antipodes de l’insupportable Dakota Fanning dont les tics de jeu la font déjà ressembler à une Emmanuelle Béart pré pubère, les acteurs sont ici d’un naturel sidérant qui les rend immédiatement sympathiques (à cet égard, la première scène du film avec la bonne est à ranger dans les annales du cinéma).
Tiré d’un livre sulfureux car politiquement incorrect (des enfants meurtriers), le film est en permanence à la croisée de plusieurs genres. Démarrant comme une chronique familiale et basculant dans le thriller avec l’arrivée du mystérieux personnage joué par Delon, on assiste à un régal de huit clos dont le paroxysme est atteint avec l’intrusion de Delon dans la maison.
Si les enfants acteurs sont parfaits, que dire de Delon si ce n’est qu’il démontre une nouvelle fois son talent dans un rôle particulièrement difficile. Avec un personnage énigmatique, touchant et dangereux, le bougre balaie toute la panoplie d’acteur et surtout prouve à ceux qui en ont encore besoin qu’il faut être particulièrement doué pour jouer avec des enfants sans tomber dans le n’importe quoi ou le grandiloquent.
Au-delà du simple thriller, le film en profite pour délivrer une critique maintenant désuète mais à l’époque assez visionnaire de l’impact de la télévision sur les enfants (l’assassinat de la bonne au prétexte d’interdiction de télé). Gavés de violence et livrés à eux-mêmes, les bambins ne distinguent plus les frontières entre la fiction et la réalité et en viennent à se comporter comme des esprits machiavéliques en toute innocence (voir la tentative de drague de la jeune fille sur Delon comme reproduction d’un schéma vu à la télé).
Si Leroy n’invente rien et se contente de s’appuyer sur le livre originel, il a le mérite de faire passer cela avec pas mal de finesse. La mise en exergue du rôle des parents et des conséquences de leur absence est analysée sans excès à travers les différents comportements des enfants (du boulimique aux émancipés).
Le film est même assez touchant notamment dans sa peinture du personnage de Boule, gros gamin qui noie son chagrin et l’abandon parental dans la bouffe (avec mention spéciale à Thierry Turchet qui joue -?- le rôle de façon ahurissante).
Atypique dans la filmographie de Delon, ce dernier n’apparaissant véritablement que dans la deuxième moitié du film et dans un rôle en opposition totale avec son image (violent, alcoolique et hirsute), Attention les enfants regardent est un petit bijou à (re)découvrir pour savourer les acteurs et une histoire totalement immorale.
Pour cela, la seule solution, au vu de l’inexistence des passages TV, est de se rabattre sur une édition DVD zone 2 sans bonus. Sur ce point, notons qu’Alain Delon, comme la plupart des stars françaises de l’époque et notamment Belmondo, n’est visiblement pas jugé digne de bénéficier d’éditions correctes dans notre pays. Bonus escamotés, commentaires et interviews invisibles, le tout pour la modique somme de 20 €, tel est le destin des vraies stars françaises. Avec cela, que les maisons d’édition ne viennent pas pleurer contre le téléchargement illégal.